Comment aborder cet homme qui a laissé de son passage sur terre parmi les vieilles pierres bien peu de gens indifférents pour ceux qui l' ont connu !
Par les uns adulé, par les autres décrié et par moi, sa nièce, redouté
.
Il faut dire qu' à mon encontre il n' y allait pas toujoursde main morte.
Et c' était neuf fois sur dix, sans raison !
Je l' appelais " mon oncle Maumau " avec autant de crainte que de respect.
Il en était toujours ainsi quand nous étions en famille entre Duton. Enfin le temps qu' il a daigné tous nous fréquenter NOUS " les autres Duton " .Sinon je devais lui donner du " Monsieur Duton " devant les visiteurs, étrangers au château, qu' il recevait.
.Mis à part ce désagrément je ne compte plus les fois où j' ai été virée séance tenante de ce château sans cause ni explication. Sa manière à lui de faire savoir qu' il était le chef des lieux en impressionnant, sans risque, tous ceux dont il avait la charge : ces Jeunes qui nous entouraient.
Ce genre d' humilation intimidante était toujours publique et ne se déroulait que le temps de la pleine saison des chantiers.
Durant la morte saison, une fois qu' il se retrouva divorcé , femme et enfant ayant plié bagages en laissant ainsi derrière elles la forteresse déserte, je redevins Zabeth, celle pour qui il faisait montre d' un peu plus d' égard à titre d' impérieuses nécessités. Mau-Mau, c' était connu, n' aimait guère se coltiner les petits problèmes ordinaires de la vie et préférait les voir se régler d' eux-même en venant s' échouer tout cuits au pied de son fauteuil.......par la grâce obligée de quelques " serviteurs..." triés sur le volet.
Pour ne citer que le cas de ce facteur , un copain d' enfance à lui, qui rechignait de son côté à monter jusqu' au château pour " apporter le courrier à Mau-Mau " . Courrier qu' il laissait au bon soin du Presbytère lors de son passage. A charge de....
Je me retrouvais ainsi désignée d' office pour la corvée, accompagnée ou non de ma grand' mère. Toutes deux souvent chargées comme des baudets grimpant, fourbues, vannées, la fameuse côte du fort. Les lettres n' étaient pas les plus lourdes à porter c' était plutôt du côté provisions en tout genre qu' on peinait....
A propos de ce ravitaillement, parviendrais-je un jour à oublier les hurlements du chien de garde, un molosse enchaîné le jour et enfermé la nuit dans le musée pour protéger ce dernier , qui crevait de faim une partie de l' hiver . La raison pour laquelle j'allais chercher pour lui des déchets à la boucherie avec les minces pourboires que la distribution de la presse catho me rapportait. Ainsi il me paraissait moins pénible de devoir accomplir la corvée aller-retour un soir sur deux au château ne serait-ce que par pitié pour ce malheureux clébard abandonné aux - bons soins - de Mau-Mau par son précédent maître...
Je n' ai jamais su comment il s' appelait ...Je pense qu' il souffrait vraiment de la faim car lorsqu'il avait le ventre plein, plus personne ne l' entendait hurler à la mort dans les rues en contrebas de la forteresse..
Il mourut abattu d' un coup de fusil un jour où il s' était échappé, terrorisant dans sa fuite deux ouvriers d' EDF qui étaient venus installer un poteau électrique.
Il avait de sérieuses raisons d' être devenu fou la pauvre bête.
Deux chiens plus tard , Gilou lui succéda en tant que nouveau gardien du château, et lui eut droit à un nom mais aussi à un régime moins spartiate une fois la célébrité venue pour le maître et le château et les moyens en découlant. Gilou n' eut donc jamais à se plaindre du traitement qui lui fût accordé, il pouvait même se balader librement à son aise. Les Jeunes du Fort l' adoraient.' lui qui était chargé de les extirper de dessous leurs tentes chaque matin en allant fouiner avec le bout de son nez glaçé contre leurs visages à peine éveillés, incitant les Jeunes à tenter de s' enfuir encore plus profond dans la chaleur de leurs duvets.
En plus du souvenir pénible du pauvre clébard sans nom, il m' arrivait de devoir traverser la forteresse, ou du moins les ruines qui en restaient, pour aller éteindre la lumière du donjon qui, telle une sentinelle, veillait sur la ville ces longues nuits d' hiver, ...
Je me souviens des prises de jus qui m' électrisaient la main et le bras jusqu' au coude...
Il fallait tourner l' interrupteur à la vitesse de l' éclair si on ne souhaitait pas y rester accroché pour la nuit ou pour la ....vie, ce que je redoutais le plus ! Puis reprendre le chemin inverse pour revenir au PC de Monsieur le Duc dans un noir total les nuits sans lune, et quand ce n' était pas dans la pire des gadoues ! Avec à la main une torche électrique des plus capricieuses, qui rarement fonctionnait.
.Je passe sur les " dépannages " de l' automobile de marque anglaise trop souvent en panne ( un cadeau " empoisonné "qu' on lui avait fait ) et qu' il devait souvent pousser entre les murs étroits de l' Entrée de la Porte de Paris pour qu' elle consente à démarrer au-delà des remparts...Tandis qu' assise au volant et tétanisée d' effroi je redoutais de rayer la carosserie en faisant une mauvaise manoeuvre ... Ce qui m' aurait frappé illico d' une excommunication définitive du château tant il tenait à cette voiture !
Mau-Mau c' était pour moi l' appréhension, la panique, les menaces.
Une sorte d' autocrate, un despote, le tyran absolu.
Mais Mau-Mau c' était mon oncle malgré tout, je devais faire avec !
Et puis je l' aimais bien quand même Mon Oncle Mau-Mau , même s'il lui arrivait parfois de me traiter de ...bâtarde tels certains de ses chiens perdus sans collier !!!