Dans le métro parisien, la vie bat son plein sans s'arrêter sur ceux qui, résignés à leur sort, tracent leur chemin. Ainsi vont les heures souterraines, bien d' accord avec Delphine Le Vigan, parceque le monde d' aujourd' hui c' est chacun pour soi jusqu' au jour où dans la foule quelqu' un tombe. Et ce vendredi de septembre 2001 ce fut moi. Combien de fois tout au long de ces années ai-je compté les marches de l' escalator puant du RER Auber Opéra souvent en panne pour tenter d' atteindre la station du métro St-Lazare où il ne me restait plus que deux stations pour parvenir à celle de Villiers et environ 200 mètres pour arriver chez moi. Mais ce soir du 17 septembre ma vie faillit s' arrêter là dans l' escalier mon coeur refusant de monter les dernières marches vers la sortie, coeur n' ayant plus de sang à pomper.
J' entends quelqu' un dire " laissez-lui un peu d' air SVP, appelez une ambulance ..." Puis plus rien !
Une journée et demie plus tard Sylvie, une amie, vint me sortir de l' hôpital Lariboisère. Ce fut fait contre l' avis des médecins et du personnel soignant qui ferma les yeux sur ma " fuite " qui ne devait durer que quelques heures ! La raison était que mes animaux étant restés seuls à la maison c' était urgent pour eux que je rentre pour les nourrir mais je leur promettais de reprendre l' hospitalisation en bonne et dûe forme dès que j' aurais trouvé quelqu' un chez qui les placer. Mais ce n' était pas tout à fait vrai, Geneviève une autre amie s' étant proposée de les prendre en charge. La vérité vraie comme on dit c' est que dès le lundi je devais reprendre le turbin ne pouvant rester une dizaine de jours pour me faire opérer, n' ayant pas les moyens, sans aucune complémentaire de santé, de me mettre en arrêt de travail.
L' Hôpital me fit payer les 2 culots de ma transfusion sanguine et mes " deux " jours de soins où je dû me contenter d' un seul petit déjeûner, frais conséquents sans possibilités de remboursement pas la sécu. On ne fait pas de cadeau aux malades qui font de la résistance et qui s' évadent de l' Hôpital.
Ainsi on se tient debout tant qu' on peut devant ceux, les indifférents, les hypocrites et les lâches, qui fréquentent les salles de sport lors de la pause du midi et qui geignent le cul vissé à leurs chaises de retour devant leur ordinateur les mains et le coeur restant planquées confortablement dans leurs poches et qui n' attendent que le WE où ils s' en iront danser ...Pour se mettre en arrêt de travail la semaine suivante aux frais de la sécurité sociale sous un dérisoire prétexte ! Beaucoup de ces Parisiens tirant presque constamment la gueule, roulent aussi dans le métro avec ces têtes à faire peur tant ils sont contrariés des voyageurs de mon style qui les entourent et qu' ils " regardent " d' un air dédaigneux parcequ' ils n' avancent pas assez vite ! Malgré ma souffrance et mes peines jamais je n' ai eu ce genre de comportement odieux. Toujours prête à rendre un sourire et dire grandement merci quand quelqu' un se levait de son siège pour me proposer sa place. Geste rare !
J' aurais aimé que dans le film Mathilde et Thibault descendent ensemble à la station et que ce dernier l' invite à prendre un verre ou une tasse de café au bistrot du coin comme l' a fait un petit matin de décembre un certain Nathan ...Je me souviens comme si c' était hier de son air gêné quand la facturette fut posée sur la table. Et de la tête de l' " aubergiste " quand je lui ai tendu des timbres-poste pour régler la totalité de nos deux consommations. Il était 5 heures Paris s' éveillait.
Quelle douloureuse mais si belle aventure amoureuse que fut la nôtre mais c' est une autre histoire ....
Un chouillat d' humour dans ce monde de brut ! Même les vaches eurent l' honneur un jour de descendre dans le métro ou plus justement dans le RER Auber-Opéra !
Addenda : Le troisième personnage du roman est Paris, cette ville grouillante de monde, qu'elle soit souterraine ou à la surface la ville est anxiogène : des embouteillages perpétuels avec klaxons répétitifs des automobilistes coincés dans les voitures , des suppressions de trains, de l'attente interminable dans son wagon dûe aux incidents techniques nombreux sur le réseau RATP, avec cette transparence insupportable des usagers face aux yeux des autres usagers.. Le corps avance par habitude par routine alors que l'esprit crie en son for intérieur, étouffe, il contrôle cette violence provoquée par ce monde fou comme il peut.
Mais à contrario, cette souffrance peut-être salvatrice pour ceux et celles qui ne baissent pas les bras et qui continuent de l' ouvrir contre la société en général et en particulier contre la part envahissante que peut prendre le travail dans notre vie. INSUPPORTABLE je le répète !!!
Seuls leurs regards vont se croiser un regard qui en dit long sur ce qu'ils vivent chacun de leur côté, comme s'ils se trouvaient face à un miroir reflétant leur sentiment de solitude, de lassitude, de tout et de rien.
Même regard inquiet à l' époque, même coupe de cheveux, même allure, je me suis totalement reconnue en Mathilde
une réflexion sombre, triste, mais intéressante sur la condition de l'homme moderne confronté à la violence d'une société broyeuse d'âmes.
Ce fut dans mon milieu professionnel que j' ai " rencontré " cet homme, dans cette part envahissante que peut prendre le travail, et à l' époque j' en avais deux !! Je me revois en fin de journée de labeur avoir plus d' une fois oscillée comme Mathilde au bord du gouffre , oui tout juste au bord de ce quai du métro Bourse, attendant que la rame arrive après en avoir terminé avec mon second boulot. Ne me fallait-il pas avoir le courage de sortir une fois pour toutes hors de ce cycle infernal, m' écraser, me dissoudre, disparaître .Puis le fil conducteur nommé résilience m' intimant de rentrer chez moi pour sortir César ce chien qui quelques années plutôt m' avait évité le suicide, ayant dû encaisser un deuil moi aussi.! Enfin mon lit venu espérer y rêver une modeste poignée d' heures d' un homme à qui je demanderai " est-ce que tu peux m' aimer avec ma vie cassée en deux , non pas fragile mais fragilisée ! Rêver d' un homme qui connaît le vertige, la souffrance mais à qui il reste un peu d' enthousiasme et beaucoup d' humanité. Qui n' aurait pas peur de mes larmes ni de mes colères derrière mon sourire fatigué. Un homme qui aurait vécu apte à interpréter et qui sait, avec l' élégance d' avoir toujours un mouchoir dans sa poche !
Ainsi j' ai tenu debout ....Cahin Caha.... vaille que vaille ...Plus de deux décennies durant !
Ainsi j' ai tenu le coup des milliers de jours !
J' ai lu quelque part dans un article " les gens désespérés ne se rencontrent pas. Ou peut-être au cinéma ..." - dont un film remarquable a été tiré de ce récit- qui nous laisse envisager un peu d' espoir pour les deux héros modestes de cette histoire. Dans la vraie vie, c' est sûr, la plupart se croisent, s'effleurent, se percutent et même s' insultent à l' occasion pour mieux se repousser, comme les pôles identiques de deux aimants. Pourtant il est aussi possible qu' ils peuvent se rencontrer, pas forcément dans les transports mais là où ils travaillent ! Y compris dans cet univers brutal et impitoyable qu' est une entreprise qui se veut moderne, dévoreuse de performances où il n' y a pas de place pour les gens en grandes difficultés frappés de tous côtés par l' injustice, la déveine bref l' infélicité ce qui fut mon cas, ou encore les plus faibles qui cessent alors de se battre et de vivre parce que l'avenir et l'espoir ont cessé d'exister en eux, ils sont là juste pour qu' on leur accorde de quoi acheter leur gagne-pain. Ces UNS comme nous AUTRES SURVIVONS sans plus dans un monde au mieux indifférent au pire agressif....
Quelle belle oeuvre que ce roman dans lequel tant d' habitants de grandes villes se reconnaîtront à n' en pas douter dans cet espace où tant d' êtres humains se croisent, se bousculent sans se voir ! Où tout le monde court et personne ne s' arrête. Où nous avançons comme des zombies dès le début de notre journée de travail.
Il faut lire cette chronique de détresse et de solitude, ce roman sans illusion sur notre foule surpeuplée et densément solitaire. Une perle stylistique que ce livre - écrit par l' auteur Delphine Le Vigan avec autant de sensibilité que de simplicité- touchant du doigt l' essence même de la vie de beaucoup de citadins, de travailleurs d' entreprises, avec une rare perspicacité ayant elle-même subi ce vécu. Mais mon dieu que c' est loin d' être léger, La 4e de couverture déclare même que c'est « un roman vibrant sur les violences invisibles d'un monde privé de douceur » et c' est si vrai ! Ce monde citadin ou souterrain qui s' épuise de son propre stress, sa suractivité, ses asphyxies, son ramdam incessant, peuplé de toutes ces identités remarquables posées les unes à côté des autres, empilées, entassées dans ces rames, mais qui jamais ne s'additionnent au cours de nos transports en commun. Dans ce récit nul optimisme, nulle touche positive ne vient sauver les deux héros … et, de surcroît, accompagner Mathilde dans l'engrenage d' un harcèlement sournois commis par son supérieur hiérarchique , ou Thibault dans la spirale de sa rupture à cause d'un amour non partagé, me fut pénible plus encore que mon parcours personnel quotidien pourtant oh combien difficile durant mes longues années de galères. Me renvoyant quelques années plus tôt sur ces marches que j' eu tant de mal à monter comme à descendre. Malade, épuisée, naviguant à vue dans les 1ers, second, 3ième, 7ième, 8ième, 18 ième et 19ième arrondissement ....
Ces heures souterraines, je ne sais pourquoi elles m’évoquent Perséphone, la fille de Déméter, la déesse des saisons. Perséphone a été enlevée par Hadès et devient la reine du monde souterrain. Elle revient sur terre au printemps pour la belle saison, elle revient à la vie après le séjour souterrain